Les 3C et le Vademecum

Après avoir fait couler beaucoup d'encre, les Centres de Communication et de Culture semblent un peu rangés au placard. Ils continuent pourtant d'irriguer la réflexion de nos Inspecteurs et d'avoir des échos chez nos chefs d'établissement. C'est pourquoi nous vous proposons cette analyse.

 

Introduction

 

Ce qui frappe avant tout dans ce Vademecum, c'est un certain manque de synthèse et de cohérence qui laisse à chacun la « liberté » de piocher les éléments qui vont alimenter sa propre vision.

 

Deux conceptions contradictoires des 3C en émergent :


- d'un côté, celle qui associe les 3C à un seul lieu commun au CDI et à la Vie scolaire, ce que certains ont appelé une "super permanence". Cette première conception n'est pas acceptable, réduisant notamment le CDI à un espace ludique et occultant l'outil de formation qu'il représente.


- De l'autre côté, la volonté de créer un ensemble pensé et cohérent, de lieux identifiés, complémentaires, fonctionnels, adaptés, équipés, au service de publics, accessibles, pouvant être choisis et s'articulant de façon cohérente, vision qui semble émerger de la lecture globale du Vademecum. Il est clair ici que les 3C correspondent à un collège entier repensé dans ses espaces (ou un lycée).

 

Cette seconde conception, beaucoup plus intéressante dans son principe, ne peut être envisagée que si elle prend en compte les moyens humains et les apprentissages nécessaires (dont l'accès à l'autonomie) au bon fonctionnement de ces lieux, ce qui a souvent été oublié.

 

Il serait utile de compléter cette présentation des 3C comme un « ensemble cohérent » en évoquant les éléments manquants, à savoir :


I. L’identification et l’utilisation précises des différents lieux , leurs équipements spécifiques, le rôle et la fonction des enseignants, animateurs, encadrants.

 

II. Le contenu et la forme de la formation dispensée dans ces lieux ainsi que la place de l'autonomie.

 

III. Enfin, les 3C faisant la part belle à l'utilisation du numérique, il est nécessaire de s'interroger sur l'effet réel des TICE sur les apprentissages.



I. Les lieux et leur cadre : voir « Les 3C : les lieux »


II. Formation et autonomie

 

Formation : quel cadre, quel contenu et quels acteurs de la formation doit-on définir dans le contexte de l'utilisation des 3C ?

 

Le vadémécum liste une série d'actions de formation dévolues au professeur documentaliste (ou pas), «assurer une formation des élèves à la culture de l’information et des médias » en collaboration avec les collègues ou même « assurer un parcours de formation à la culture de l’information ». Dans le cadre des 3C, on doit également donner du sens, faire des liens entre les connaissances, permettre la complémentarité entre différents apprentissages, les relier avec l’extérieur, réinvestir. Il s’agit aussi d’exercer « une pratique plus experte de la recherche et de la production d’information ».

 

De nombreux chercheurs (ainsi que la Fadben) se sont penchés sur le contenu d’une culture de l’information. On s’inspire (parfois) de ces travaux mais rien n’est fait au niveau institutionnel pour rendre cette mise en œuvre réellement applicable.

 

On sait déjà que les compétences attendues ne doivent pas être seulement techniques car elles seraient alors trop liées à un objet touché par l'obsolescence. Il est recommandé de travailler sur les « invariants » qui se cachent derrière l’outil (cf conférence à L’ESEN de JP Moiraud en 2010) : les stratégies, les enjeux, les éléments de compréhension. Cela suppose de définir des notions et des concepts de base, mais aussi d’appréhender le numérique en tant qu’objet d’étude.

 

En tant que professeur, il faut impérativement se demander pourquoi on demande de faire une recherche et pourquoi on demande de produire de l'information. Trouver une information, est-ce apprendre ? Produire permet-il de construire un savoir ? Si oui, dans quelle conditions ?

 

L'accès à l'autonomie

 

L’autonomie, la capacité à s’auto-former (y compris avec des outils numériques), la formation (ou l’apprentissage) informelle et même l’envie de se former ne sont pas innées. Elles s’apprennent, se suscitent. Pour cela, l’équipe adulte dans l'établissement et les parents ont un rôle indispensable.

 

La volonté de développer l’autonomie et la responsabilité des élèves ne dépend pas des lieux mais d’une équipe rassemblée autour d’un projet d’établissement s'attachant aux dispositifs d’accompagnement cognitif, aux lieux de responsabilisation, d’engagement, de débats… Cela est complexe parce que la responsabilisation « civique » (je respecte des lieux collectifs, le travail des autres …) est liée à la responsabilisation « personnelle » (je comprends pourquoi je dois apprendre et cela me motive pour m’auto-former …).

 


III. Les TICE

 

La tendance est de croire que « l’outil » (le Numérique) va permettre à lui seul un apprentissage autonome et c’est un leurre, un mythe ou une hypocrisie. Il ne le permet que « dans un cadre de pédagogie active » (Vademecum). Ce sont les choix pédagogiques de l’enseignant qui font que l’on choisit ou que l’on crée tel outil. Un nouvel outil sans repenser la pédagogie n’a que peu de chance d’avoir l’effet escompté.

 

Certains disent que l’outil numérique crée la motivation. Certes, mais il s'agit le plus souvent d'une motivation « de loisirs » qui n'a que peu à voir avec une motivation « intellectuelle » (de l’ordre d’une prise de conscience d’un épanouissement personnel, d’une réussite, d’un accès au sens …).

 

De la même manière le Vademecum, à plusieurs reprises, signale que l’on doit éviter « la défiance à l’égard des usages numériques des élèves », qu’on doit rendre possible l’utilisation du matériel des élèves à l’école pour permettre « d’élargir leurs usages à des usages scolaires ». Encore une fois cela dépend de la façon dont cela est fait et de ce qu’on en fait. En aucun cas cela ne doit être démagogique. En aucun cas on ne doit faire semblant d’être dans une situation d’apprentissage. Utiliser ces outils nécessite d’avoir construit en amont un cadre dans lequel l’élève doit pouvoir construire quelque chose qui va rester. Et c'est l'enseignant et lui seul qui est en mesure de construire ce cadre. Et s'il n'a pas pu le faire, il est peut-être inutile, voire néfaste, de les utiliser.

 

Des études commencent à appuyer cette réflexion : quelques bilans d’expériences sur l'utilisation des outils nomades ont mis en avant des points positifs liés surtout à la souplesse d’utilisation. Mais ils mettent aussi en avant la maintenance très lourde qui se cache derrière (nettoyer, charger, équiper, prêter, contrôler, récupérer, réparer …). Aux États-Unis, les autorités éducatives de la ville de Los Angeles, décident de geler le programme d'équipement des écoles et établissements secondaires en Ipad et même de confisquer les machines. La perte de contrôle sur les machines ainsi que l'absence d'offre éducative sont mis en cause (voir le Café Pédagogique du 28 octobre 2013). Nous pouvons aussi être attentif aux effets sur l'environnement d'objets plus vite hors d'usage et jetés.

 

Il faut enfin impérativement analyser l’effet du numérique sur le raisonnement, la concentration, les capacités de lecture profonde, les capacités à faire du lien et donner du sens. Et là il y a encore beaucoup à faire.

 


A lire

 

Florian Reynaud. Vademecum 3C (vendredi 25 mai 2012) et La Marche forcée des 3C (vendredi 15 février 2013)

 

Dossier d'actualité Veille et Analyse de Rémi Thibert : Pédagogie + Numérique = Apprentissages 2.O – N°79, novembre 2012

 

Vidéo d'intervention de Jean-Paul Moiraud lors du regroupement du réseau national TICE à l'ESEN : L'impact des technologies numériques sur l'espace-temps dans le travail des acteurs de l'école – 15 décembre 2010

 

Article de Pierre Rivano, IA-IPR EVS de l'académie de Toulouse : Accompagner l'élève à l'école dans une démarche d'apprentissage et d'autonomie – mercredi 13 juin 2012

 

Wiki des notions en Information Documentation piloté par la Fadben : Wiki INFO-DOC – avril 2011

 

Vidéo de la conférence de Françoise Chapron lors du 9è Congrès de la Fadben : Former les élèves à une culture de l'information : une mission à réaffirmer et affermir au cœur de notre profession – Paris, 22-24 mars 2012

 

Article d'André Tricot. École et numérique, de quoi parle-t-on ? In Sciences Humaines n° spécial 252S Octobre Novembre 2013.

 

 

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